"Des personnes dignes de foi nous rapportent, déplore l'évêque
de Paris en 1363 - dans l'introduction d'un document qui
autorise la création d'une confrérie charitable - qu'une
calamité nouvelle frappe les rues et les places de Paris :
elles sont envahies par une foule innombrable de
mendiants." Sans feu ni lieu, exposée au froid et à la
faim, désespérée, celle-ci attend une aide quelconque. En
dehors de ce regret stéréotypé, si fréquent dans la littérature
sociale et les documents officiels du Moyen Age, on peut voir
dans ce document – acte de fondation de l'hospice et de
l'orphelinat du Saint-Esprit – le reflet de l'inquiétude
sociale face à une situation nouvelle.
Le
nombre croissant des pauvres, des personnes incapables d'assurer
elles-mêmes leur existence matérielle, met la doctrine
traditionnelle de la bienfaisance et de l'assistance aux pauvres
à dure épreuve. Les formes existantes, c'est à dire les
institutions ecclésiastiques, se révèlent totalement inadaptées,
tandis que la protection des déshérités reste l'une des
principales missions temporelles de l'Eglise. Les initiatives
charitables se multiplient, dès lors, en dehors d'elle,
encouragées par les prédicateurs ; la charité devient l'une
des vertus les plus louées.
Les
incertitudes des temps de guerre, les catastrophes naturelles,
les perturbations dans la conjoncture économique engendrent aux
XIV et XV éme siècles , un processus de paupérisation, tant
à la campagne qu'à la ville. Paris est doublement touché par
le résultat de ce processus car, traditionnellement, les murs
de la grande ville attirent les paysans appauvris et affamés.
La ville doit donc supporter ses propres pauvres et les autres.
Or, d'après la doctrine en usage, il convient de se débarrasser
au plus vite des derniers (chaque société, chaque groupe a ses
pauvres), et de placer les premiers sous la protection d'asile
et d'hôpitaux. Il y a cependant un abîme entre les
commandements de la doctrine et la pratique admise.
Rien,
en effet, ne pouvait empêcher la migration vers Paris à partie
des villes et villages avoisinants. Les catastrophes naturelles,
la menace de la famine, les exactions des troupes belligérantes,
tout poussait les foules vers cet abri tutélaire des remparts.
Or, la vie à Paris, pendant la première moitié de XVème, était
pénible. Dépression économique, changement progressif des
conditions climatiques, difficultés
d'une ville vivant depuis plusieurs dizaines d'années en état
de siège, telle était la réalité quotidienne. Le
Journal d'un Bourgeois de Paris note la cherté de
l'alimentation : " Toute
char enchery tellement que povres gens n'en mengoient point
" (décembre 1418), la difficulté des gains, la misère
des " povres gens ", qualificatif qui englobe une très
large masse de la population et pas seulement ceux qui sont sous
la dépendance constante de l'assistance charitable : " en
icelllui temps avoient povres gens et povres prebtres, mal
temps, que on ne leur donnoit que II solz parisis pour leur
messe. " Le même journal indique aussi que la décadence
du commerce est l'une des causes de l'appauvrissement et de la
misère : " On ne
gaignoit rien car marchandise ne couroit point ;
par ce mouroient les povres gens de faim et de povreté
"
Le
processus de paupérisation est tel que, même en se limitant
aux catégories de pauvre qui n'ont pas de revenu fixe et bénéficient
de l'assistance, il sera difficile de cerner les contours de ce
milieu. Son importance numérique varie selon la conjoncture économique
ou les catastrophes naturelles. Les autorités dans un effort de
respect de la législation contre le vagabondage essaient
constamment de distinguer les "faux" pauvres des
"vrais", car seuls ceux-ci ont droit à une aide.
Les
paysans et les artisans appauvris, les salariés sans travail,
tous ceux pour qui l'embauche a manqué comme ceux qui ne l'ont
pas cherchée, tous sont de "faux pauvres" qui ne
doivent pas bénéficier de l'assistance, ni de la charité.
Le
pauvre authentique est celui qui se trouve dans l'impossibilité
de travailler. Ce sont les estropiés, les malades, les
vieillards, les veuves et les orphelins. Ce sont ceux qui
forment la masse autorisée et admissible des assistés. Eux
seuls ont droit à une tutelle, à une place à l'asile ou à
l'hôpital, à l'assistance et à la mendicité.
A
suivre...
Les
Hôpitaux de Paris
La Bienfaisance et ses Clients
Les Mendiants
Sources : Bronislaw Geremek,
Les Marginaux parisiens Ed Flammarion 1976 |
|
|