
PARIS
EN 1812
Les Distractions
de Paris (1ère partie)
Tous
les jours de l'année Paris se donne à lui-même le
spectacle. Les "Grands Boulevards" et le Palais
Royal assemblent quotidiennement de vraies foules. Les
"Boulevards" ont gardé à peu près l'aspect
qu'ils avaient sous l'Ancien Régime. Entre la future
Madeleine et le Pavillon de Hanovre l'avenue est bordés
de contre-allées de terre battue, parfois plus hautes que
la chaussée, les promeneurs peuvent dominer le spectacle
et mieux en jouir.
Quel spectacle ?
Celui des équipages courant dans les deux sens et de la
foule même des passants. Assis sur des chaises, parfois
très serrées, des milliers de Parisiens satisfont là,
leur inlassable badauderie. On s'est donné rendez-vous,
on se retrouve et l'on forme de petits cercles où l'on
jase et potine à propos de tout et de rien ; la société
élégante, la jeunesse du Faubourg Saint-Germain ne fréquentent
– par mode – que le futur boulevard des Italiens et,
plus précisément, les environs de la Chaussée d'Antin,
qu'on appelle le Petit
Coblence. La bourgeoisie se retrouve entre le pavillon
de Hanovre et les portes Saint-Denis et Saint-Martin. Après
ces portes et jusqu'à la Bastille, le public est tout
autre : populaire, bruyant, gouailleur, parfois débraillé.
Le boulevard est donc tout un monde et, à la belle
saison, un microcosme de Paris. Il y a dans la zone
"distinguée", des glaciers et, dans la zone
populaire, des cabarets, qui font, les uns et les autres,
de bonnes affaires – et, partout, des marchands d'oublies
qui vendent leur légère pâtisserie criant : Voilà
le plaisir, Mesdames! voilà le plaisir! - On y voit
aussi, entre des cordes tendues, des jongleurs, des
prestidigitateurs, des lutteurs, des leveurs de poids, et
ces petits vendeurs de toutes choses que nous appelons
aujourd'hui des
camelots. Des groupes se forment, se dispersent, se reforment, et
constituent une foule mobile, bruissante et sans cesse
renouvelée. Parfois cette foule s'entasse à tel point
que l'on étouffe et que des femmes s'évanouissent (on s'évanouit
beaucoup à cette époque). Il se produit dans cette foule
des arrêts inexplicables, des bousculades et parfois des
bagarres. Mais tout finit par des plaisanteries, car c'est
une foule animée par une constante belle humeur et dans
laquelle se trouve toujours un titi
– Gavroche est déjà né – qui, par un mot drôle, déchaîne
le rire.
Le Palais Royal n'en demeure pas moins le grand centre de
réunions et d'attractions. Le public y est fort interlope
: dans ces galeries et jardins, une foule grouille et
vient chercher en ces lieux, même – et surtout – les
moins avouables aventures : Voilà
le plaisir! n'a pas
là un sens aussi innocent que sur le boulevard. C'est un
énorme bazar et l'on y vend tout ce qui peut plaire, des
bijoux dont étincellent les vitrines, aux gravures dont
certaines sont, par la police, qualifiées "infâmes",
et des parfums aux objets de toilette ; on y vend aussi de
succulentes pâtisseries, des plats renommés – et des
baisers.
Le jardin était alors sans arbres, ni parterres fleuris
et l'on y mourrait de chaleur en été; les galeries étaient,
en partie, de bois, étroites et incommodes ; les arcades
du pourtour, très basses, ne permettaient guère de
respirer ; et l'illumination vantée aux provinciaux, les
décevait, les premiers soirs, par sa médiocrité. La
foule allait au Palais-Royal pour voir beaucoup de choses,
mais surtout, comme sur le Boulevard pour se regarder
elle-même. Et puis, on aimait ce tapage, ces cris, ces
musiques, ces bastringues et jusqu'à ces bruits
d'assiettes heurtées chez Véry et ses émules, jusqu'au
choc des verres chez Corazza ou à la Rotonde, jusqu'à
l'odeur de la bonne cuisine qu'on ne mangeait pas et
jusqu'à ces parfums violents que, derrière elles,
laissaient les "nymphes errantes".
Les promeneurs des Tuileries, du Luxembourg, du Jardin des
Plantes, du parc de Monsseaux étaient plus paisibles et
plus innocents. On y menait les enfants qui y sautaient à
la corde, y faisaient des parties de barres
ou y jouaient au diable,
l'ancêtre du diabolo.
Les "jardins de plaisir", héritage du
Directoire, survivaient : Tivoli, Frascati, Ruggieri,
hameau de Chantilly, Elysée Boutin… Mais le Consulat
travaillait à l'assagissement général et ces
"paradis de voluptés" avaient dû se mettre à
la note – ou du moins affirmer qu'ils s'y mettaient.
Ce qui est vrai, c'est qu'ils étaient moins fréquentés
sous l'Empire. Quelles en sont les causes ? : "les mères
de famille" qui ne se fient pas aux rassurantes
promesses du Tivoli nouveau style, la proscription des
"merveilleuses" qui prive ces lieux de leurs
principales attractions, ou bien un retour des valeurs
"famille, foyer" qui fait que l'on reste plus
chez soi.
Le spectacle de Tivoli est cependant des plus variés : un
soir on y entend Garat, le chanteur le plus célèbre de
la capitale, mais on y voit aussi dans ses exercices
"l'écuyère incroyable" qu'est Mlle Sacqui. Le
jardin ferme en novembre, mais il y a un Tivoli
d'hiver dont "on parle avec éloges" ;
on y boit, on y dîne, on y joue, on y danse, ou y
applaudit les "artistes" les plus divers dans
une salle "bien chauffée".
La salle de Frascati s'ouvre à 2.000 personnes ; en forme
de croix, elle mesure "120 pieds de long, 24 de large
et 14 en travers" ; éclairée par 8 grands lustres
et 18 moyens et par surcroît "120 quinquets".
Le plafond bleu est étoilé d'or.
Sur la rive gauche, les
Jardins de la Grande Chaumière, au Montparnasse,
ouverts toute l'année, font la joie de la "jeunesse
des Ecoles" ; on lui promet, avec bonne chère et
rafraîchissements, "de jolis cabinets à cheminées
pour l'hiver" et, pour l'été "des bosquets
souterrains" – tout cela propice à certaines
rencontres discrètes.
Le Parisien raffole du cirque. Le plus célèbre des
"hippodromes" est celui de Franconi, ouvert en
1807, au coin de la rue Saint-Honoré et de la rue du
Mont-Thabor. Les talents d'écuyer et la prestance de
Franconi feront qu'il restera durant plusieurs décennies
l'idole de tout un monde. Seule, sa pensionnaire, Mlle
Saqui, lui dispute la palme. Mais ce ne sont pas seulement
ces deux artistes qui attirent la foule au Cirque
Olympique de la rue Saint-Honoré, et pas plus les
acrobates et funambules de la troupe : la nouveauté qui
fait fureur, ce sont les pantomimes à grand spectacle et
à caractère patriotique.
A suivre : Les distractions de Paris (2ème partie) |