Février
2005, il fait froid, tout le monde reste calfeutré devant
son téléviseur. Dehors le bruit assourdissant des
voitures et de camions, le ronflement des tronçonneuses,
les pestilences de gaz oïl agressent nos sens…
Atmosphère d’aujourd’hui…
Février
1945 ou 1946, Il faisait tout aussi froid chez nous, au cœur
de nos campagnes mais l’atmosphère de cette époque qui
s’en souvient encore ? Ce n’est pas si vieux tout
ça après tout.. Nostalgie, non ! Envie de
témoigner simplement.
Il
y a soixante ans de cela, mais je m’en souviens comme si
c’était hier, de ces longues journées d’hiver dans
mon petit village du Périgord…
Il
dort frileusement coulé entre forêts sombres et terres
gelées par un froid sibérien, au-dessus desquelles plane
en tournoyant un vol de corbeaux braillards en quête de
nourriture.
La
bise hurlante éparpille aux quatre vents la fumée
blanche des cheminées et tord rageusement les vieux
pommiers du verger qui protestent en gémissant.
Parfois
elle tourne, devient vent d’ouest et une rafale plus
forte que les autres refoule la fumée vers l’intérieur
de l’habitation, faisant pester ma mère, obligée d’ouvrir
la porte. Ah, l’odeur acre de la fumée qui vous prend
à la gorge, qui vous force à tousser et fait pleurer les
yeux !
La
journée en ce temps là commence de façon immuable. Le
fermier se lève à la pique du jour, boit son café et se
rend dans l’étable des vaches.
Pendant
ce temps son épouse allume le feu dans la vaste cheminée
qui va bientôt réchauffer l’unique pièce où ils
habitent.
Du
"juquas", il fait tomber le foin directement
dans les crèches. Bientôt on n’entend plus que les
vaches qui ruminent. L’homme change la litière et porte
à chacune un seau d’eau.
Il
n’y a pas l’eau courante à cette époque, il faut
aller remplir les seaux au puits, deux par deux et les
porter ensuite aux animaux... Dans le froid ou la pluie,
cela est une rude épreuve !
Pendant
ce temps sa femme met la soupe à chauffer, prépare les
bols des enfants, celui de la grand-mère et du
grand-père... Rien ne vaut une bonne soupe pour commencer
la journée..
Puis
elle sort, ouvre les volailles, leur jette du grain et
allume le feu dans la chaudière pour réchauffer la
"bacade des cochons".
Le
jour se lève... Sous le hangar l’homme fend du bois
pour la journée... Puis va enfin casser la croûte.
C’est
un moment de calme et de repos où tout s’apaise… Où
on prend le temps d’écouter...
Au-dehors,
le roulement des charrettes lourdement chargées sur le
chemin empierré qui monte vers la forêt, les appels
joyeux, les cris de la volaille dans les cours ont fait
place au silence que brise seulement le claquement sec des
bûches qu’on éventre, le grincement acide des scies
mordant le bois, le bruit obsédant des coups de marteaux
secs et précis martyrisant les têtes de quelques pointes
qu’on enfonce ici ou là…
Tiens,
un coup de feu : un lièvre va sans doute raviver
dans la tête du chasseur des idées de civet...
Une
odeur de corne brûlée, le forgeron est là.
L’homme
repu se lève… Les longues journées d’hiver où tout
travail à l’extérieur est impossible sont idéales
pour faire les menus travaux abandonnés aux beaux jours.
Dans
un coin de la grange, manches de faux, de fourches, de
serpes, de tranches ou de bigots, attendent d’être
réparés ou refaits par des mains expertes et il y a
besoin de fabriquer quelque panier d’osier et rempailler
quelque chaise.
C’est
un travail long, méticuleux qui demande patience et
savoir faire, car il se fait entièrement à la main. L’aide
du grand-père est précieuse, celle des femmes aussi.
On
va y passer la journée..
On
ne s’interrompt qu’au moment du repas de midi, pour
nourrir la volaille ou pour aller quérir quelques raves,
patates ou betteraves qui serviront à la préparation de
la "bacade" des cochons, ou encore pour donner
du foin aux vaches, ou remplacer leur litière,
"faire pailla" comme on dit chez nous.
Le
soir venu, à la tombée de la nuit on arrête ; les
femmes ferment la volaille, donnent aux cochons, puis
rentrent préparer le repas.
Mais
pour les hommes la journée n’est pas finie. Il reste à
faire boire les vaches et ce n’est pas une partie de
plaisir. D’abord on remplit la "peyrolle",
avec des seaux d’eau que l’on va chercher au puits,
puis on fait boire les bêtes une par une, en les tenant
au moyen d’un licol.
Il
fait noir maintenant, on va souper et les voisins
arriveront pour la veillée..
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