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Lorsque
éclata la Révolution, principalement du fait de disettes successives
qui atteignaient les couches les plus pauvres de la population,
l'usage de la pomme de terre, ce fruit exotique, n'était encore
qu'une mode. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le monde
rural va, jusqu'au début du 20ème siècle, dénigrer ce légume
pourtant salvateur.
L'auteur nous guide au travers de cette étrange odyssée de la
patate.
De nombreux historiens nous ont conviés à suivre les péripéties
des routes de l'étain, des épices, de l'ambre, des caravanes de la
soie, des galions de la route du rhum ou de la traite des Noirs. Bien
peu, nous semble-t-il se sont risqués à nous conter le chemin suivi
par ce légume vulgaire et pourtant universellement connu : la pomme
de terre ou la "patate" comme l'avait baptisée nos
ancêtres.
Cette "truffe du pauvre", selon Victor Hugo, fut
découverte déjà cultivée par les indigènes de la Cordillière des
Andes, du Chili et du Pérou. Avec d'autres légumes inconnus, elle
fut rapportée par les conquistadors espagnols vers 1534 (?). On lui
donna, à tort, le nom familier de patata (ou batata) emprunté à une
langue amérindienne. En fait ce vocable désigne la patate douce de
la famille des convolvulacée alors que notre légume appartient à
celle des solanacées.
En 1580, des plants figurèrent parmi les prises d'un corsaire
qui les introduisit en Angleterre où le botaniste John Gerarde
s'intéressa à son acclimatation. Dans le même temps sir Walter
Raleigh, après avoir fondé la Virginie, rapporta de nouvelles
plantes dont la pomme de terre et le tabac qui furent cultivées
sur les grands domaines concédés par les faveurs dont l'inondait la
reine Elisabeth I
Le vainqueur de l'Invincible Armada, Francis Drake en ramena,
lui aussi, l'introduisit en Allemagne où la ville d'Offenburg lui
éleva une statue.
En 1588, le botaniste français Charles de l'Escluse, vivant
alors à Francfort-sur-le-Main, étudia le nouveau légumes. "j'ai
goûté à ces tubercules. Dépouillés de leur épiderme qui se
détache facilement, rôtis entre deux plats et cuits dans du bouillon
gras. Je leur ai trouvé une saveur aussi agréable que celle du
navet"
De ces deux espèces, par hasard, naîtront la rouge
d'Allemagne et la jaune d'Angleterre qui seront la base des
variétés obtenues par la suite.
En 1592, le naturaliste Bauhin entreprenait un essai de culture
aux environs de Lyon et en Bourgogne. Sans grand succès car, ainsi
que bien d'autres produits de l'époque, la pomme de terre fut
accusée de provoquer des fièvres et de favoriser la propagation de
la lèpre.
En 1761 lorsque Turgot fut nommé intendant du Limousin, il
réussit avec l'aide du clergé et d'un rapport de l'académie des
Sciences à dissuader ses administrés de ces préjugés en consommant
publiquement des plats de tubercules. Las ! sans grand succès.
Quelques années plus tard, l'évêque de Castres parvint cependant à
implanter cette culture dans les Pyrénées.
En 1615, sous le vocable germain Tartoffeln (devenu Kartoffel)
elle apparut, francisée en Cartouffle, sur la table de Louis
XIII qui ne l'apprécia guère.
Le fameux Potager du Roy, créé à Versailles par Louis XIV
sera pendant longtemps le laboratoire du jardinage français. C'est
là que furent inventées les techniques de la serre et, plus tard, de
l'élevage du poulet en batterie. On y récoltait des fraises en
décembre, des asperges en janvier, des figues, des oranges, des
pêches puis le café "aussi bon que celui des Colonies"
et les ananas servis à la table de Louis XV. Mais de patates... point
! Alors qu'elle figuraient aux menus de la cour d'Espagne depuis le
XVIème siècle !
Outre l'introduction de plantes nouvelles comme le mûrier pour
la sériciculture, le houblon, le maïs, la garance et de nouvelles
techniques de culture, le grand agronome d'Henri IV, Olivier de
Serres, tenta en vain d'introduire la culture des pommes de terre en
Vivarais. Publié en 1600, son Théâtre d'Agriculture et Mesnage
des Champs sera réédité pendant deux siècles. Ce qui en dit
long sur la piètre évolution de l'agronomie française entre temps
malgré l'intérêt certain du XVIIème siècle pour la botanique.
A l'étranger, au milieu du siècle précité, la culture des
tubercules, nourriture des plus pauvres et des animaux, se répandit
timidement en Allemagne, en Autriche, en Italie, en Suisse puis dans
l'est de la France et en Flandre. Mais les anglais la boudèrent et ce
furent les irlandais qui y réintroduisirent l'usage ainsi qu'en
Amérique du Nord.
Notre grand propagateur national fut, comme chacun sait,
Antoine Parmentier (1737 - 1813). Aide apothicaire de l'armée à
vingt ans, il participe à la guerre de sept Ans, est blessé, fait
prisonnier et envoyé en Prusse où, selon ses dires, il ne sera
nourri que de pommes de terre et d'eau de vie. Apothicaire major
en 1772, il prend part au concours de l'académie de Besançon
organisé à la suite de la famine de 1769-70. Il sera couronné pour
sa thèse "des végétaux qui pourraient suppléer, en temps
de disette, à ceux que l'on emploie communément à la nourriture des
hommes". Comme ses confrères, il citait la pomme de terre
qu'il avait cultivée et analysée dans son laboratoire de l'Hôtel
Royal des Invalides, encore conservé de nos jours. On ignore
généralement que Parmentier mit au point des succédanés pour
remplacer le sucre, réforma la meunerie et la boulangerie, suggéra
la réfrigération de la viande, fut premier pharmacien et inspecteur
de santé des armées de Napoléon et publia une centaine d'ouvrages
sur de nombreux domaines... dont l'art ! . Pour tous nos concitoyens,
Parmentier c'est la pomme de terre !
Après la réception de son prix, il se fit le publicitaire du
produit qu'il avait vanté. Publiant force conseil pour sa culture et
sa conservation, il organisa des banquets où seuls les tubercules
étaient utilisées, du potage à la liqueur qui en était extraite !
Il eut comme convives Benjamin Franklin, Lavoisier et Young.
A l'époque, la plaine des Sablons du petit village de
Neuilly-sur-Seine consistait en un champs de manoeuvre pour la
garnison de Paris et l'on y organisait les premières courses
hippiques. Parmentier obtint de Louis XVI l'autorisation d'y établir
une culture expérimentale de cinquante arpents qu'il laboura et
planta de ses propres mains. A la floraison le roi se fit remettre des
fleurs qu'il porta ostensiblement à la boutonnière le 24 août 1786
et ordonna qu'après la récolte un plat de ce légume fut servi
chaque jour à Versailles. Pour tenter les maraudeurs et les
allécher, le champs fut exagérément gardé par la maréchaussée
pendant la journée mais elle se retirait dès la tombée de la nuit.
Les proches du roi imitèrent l'exemple de Parmentier.
Si la mode était lancée, la partie était encore loin d'être
gagnée...
A
suivre
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