Etrangement,
l'auréole qui l'entoure parvient à effacer des
personnalités vendéennes bien plus fortes que la sienne.
Pourtant, La Rochejacquelein continue, deux cents années
après les faits, à symboliser encore, à lui seul, toute
l'épopée vendéenne. Sa jeunesse, sa bravoure, le drame de
sa mort au combat constituent autant de bases solides qui
permirent à une image parfaitement mythique du personnage
de s'installer dans les esprits.
Qui était, en fait, Henri de La Rochejacquelein ? Ce héros
courageux que nous présente la tradition vendéenne, ou un
jeune exalté trop souvent situé en dehors des réalités ?
C'est à cette question que nous allons tenter de répondre,
tentant de dresser le véritable portrait d'une des plus
connues parmi les figures de la contre-révolution.
Napoléon, à Sainte-Hélène, réfléchissant sur la
destinée de "Monsieur Henri" se demandait ce que
fut devenu ce brave et jeune général s'il avait vécu. Il
est vrai que l'Empereur fut fasciné par cette guerre civile
qu'il baptisa de "guerre des géants"... Il y
avait de quoi ! Spontanément, une population entière se
souleva contre le régime, et les combats durèrent
plusieurs années. Cette spontanéité était de nature à
plaire à Napoléon qui, en vain, avait espéré en 1814,
alors que le pays était envahi par les alliés, un
soulèvement général des populations civiles en sa faveur.
Une famille de militaires
La famille des de La Rochejacquelein est extrêmement
ancienne, puisque l'un de ses membres se trouve déjà aux
côté de Saint Louis pendant les croisades. Son
représentant, au XVIIIème siècle est le marquis de La
Rochejacquelein, père de notre Héros, et grand cavalier.
Il donnera à ses fils une instruction on ne peut plus
spartiate. Dès son plus jeune âge, Henri, le plus âgé
des garçons de la famille, porte l'uniforme. Il est né du
Vergier, comte de La Rochejacquelein, en 1772. Il a à peine
17 années lorsque commence la Révolution.
Sa place, Henri la trouvera tout naturellement
auprès du Roi, comme le firent ses ancêtres sous Saint
Louis, puis sous Henri IV. Dès qu'il en a l'âge, il entre
dans la garde constitutionnelle du Roi, ces fameux chevalier
du poignard, prêts à tout pour garantir la sécurité de
la personne royale.
La famille, au grand complet, a quitté la France
dès le début des évènements révolutionnaires, pour
rejoindre des biens importants situés aux Antilles. En
Poitou, les Du Vergier possèdent les terres de la
Durbellière, près de Saint-Aubin-de-Baubigné. Le château
est vaste et de noble allure, mêlant habilement une
certaine grâce propre aux constructions nobles de campagne
avec, quand même, le défi permanent qu'imposait une tour
et quelques vestiges militaires.
Nous sommes en décembre 1791. Henri entre à l'âge
de 19 ans constitutionnelle du Roi. La demeure de la
Durbellière reste abandonnée pur quelques temps.
En 1792, dans la capitale, c'est l'effervescence. Le
10 août, les Tuileries sont attaquées, le Roi forcé de se
rendre à l'assemblée, doit se mettre sous la protection de
ses pires ennemis.
Ce jour-là, Henri est là, prêt à tout pour
défendre le roi contre les émeutiers, mais dégoûté
qu'un ordre n'ait pas été donné en ce sens par le Roi.
Etrangement, il n'est pas le seul parmi les futures grandes
figures de l'épopée vendéenne à se trouver là le 10
août. Charette est là aussi pour défendre le roi : d'Autichamps
fait partie lui aussi de ces irréductibles chevaliers du
poignard. Marigny, le féroce Marigny là encore, mais à
titre civil... Lescure, le cousin de "Monsieur
Henri" est aux Tuileries. Il est tellement rassuré
qu'il ne traverse plus la ville que deux pistolets à la
ceinture.
On s'étonnera à juste titre de cette concentration
de futurs chefs vendéens aux Tuileries le 10 août. Cette
constatation relance le débat que l'on a voulu faire
stopper trop tôt. Existe-t-il ou non un complot nobiliaire
à l'origine du soulèvement de la Vendée ?
Après le 10 août 1792, Henri rejoint ses terres du
Poitou. Il n'est plus possible de faire, à Paris, quoi que
ce soit pour sauver le roi de sa prison. C'est à la
Durbellière que les paysans trouvent "Monsieur
Henri" lorsqu'il décident de ne pas répondre à
l'ordre de levée en masse donné dans toutes les provinces
par la République. Nous sommes au printemps 1793, avant la
fin de l'année, l'armée catholique et royale aura cessé
d'exister.
Au début des évènements, Monsieur
Henri n'est qu'un chef de bande. Partout, les paysans sont
allés chercher dans leurs châteaux les anciens nobles,
surtout lorsqu'ils sont officiers. Henri s'imposera
rapidement auprès des autres chefs par sa témérité, qui
parfois frise l'inconscience. Dès que ces bandes éparses
se groupent pour former la grande armée catholique et
royale, Henri entre tout naturellement au conseil
supérieur. Lorsqu'en octobre 1793, après une longue série
de victoires sans suites au niveau de l'occupation du
terrain, les vendéens subiront près de Cholet l'une de
leurs plus cuisantes défaites, Henri sera nommé, malgré
lui, généralissime de l'armée. Il a à peine 21 ans.
Il convient de rappeler que les rangs des officiers
supérieurs de l'armée vendéenne se sont considérablement
éclaircis. Bonchamps, le plus avisé de tous ces chefs,
vient de mourir des suites d'une mauvaise blessure reçue
dans l'affrontement. Lescure a été gravement touché à la
tête. Il mourra quelques semaines plus tard. D'Elbée a
été blessé en plusieurs endroits, il est évacué dans le
territoire contrôlé par Charette l'irréductible.
Puis, c'est la route d'outre Loire, l'échec devant
les murs de Granville, le massacre du Mans, la grande
errance vers Savenay et la mort. Henri, qu'on nous présente
comme un chef très aimé de ses hommes, a réussi à
regagner le Poitou, où il recrute à nouveau. Harcelant les
colonnes infernales que la Convention a lancé contre la
Vendée munies d'ordres incendiaires, il est tué dans une
escarmouche le 28 janvier 1794. Voici l'histoire officielle.
Le corps de l'archange de la contre-révolution
restera enfoui clandestinement dans un pré jusqu'à la
Restauration. On l'exhumera, et il rejoindra le caveau de
famille en l'église Saint-Aubin-de-Baubigné.
Une légende tenace
Une certaine propagande contre-révolutionnaire s'est
attachée à nous représenter Henri de La Rochejacquelein
comme un grand militaire, un énergique officier très aimé
et respecté de ses hommes. L'auréole de prestige que l'on
a artificiellement bâtie autour de Monsieur Henri est
tellement forte, nous l'avons vu, que 200 années après les
évènements, sa personnalité est autant vénérée que
celle d'un saint. A lui seul, Henri du Vergier représente
dans l'imaginaire collectif l'image même de la
contre-révolution. Qu'en fût-il de ces talents dans la
réalité des faits ?
Chef à tout prix
Nous constaterons d'abord que le choix de Monsieur Henri
comme chef, par une partie des insurgés, n'a rien de
spontané. On nous présente volontiers des milliers
d'hommes se rendant à la Durbellière pour placer à leur
tête un jeune homme, pratiquement contre sa volonté.
En fait, dès que les vendéens se soulevèrent pour
éviter d'aller se battre aux frontières, bon nombre de
nobles tenteront de prendre la tête des évènements. C'est
précisément le cas de Monsieur de La Rochejacquelein qui
vit là une occasion unique de briller. En fait, Monsieur
Henri est lui-même visé par la levée ! Dès qu'il
l'apprend, il met ses pistolets à la ceinture et prend le
maquis. Dès le début des évènements, il court de village
en village, se renseignant sur les mouvements de troupes, la
position de grandes concentrations militaires spontanées,
bien décidé à prendre la tête de l'une d'entre elles.
C'est ainsi que près des Aubiers, il subtilise 500 hommes
à Monsieur des Noues... pour réclamer une place importante
parmi les officiers supérieurs de cette nouvelles armée,
il convient d'avoir des hommes. Son armée n'a pas de
poudre... il en fait enlever chez Monsieur de Royrand, un
autre chef de bandes vendéennes. Puis, c'est la scène bien
connue de la Durbellière, où les paysans viennent quérir
Monsieur de la Rochejacquelein en son château. Point de
spontanéité en tout cela. Sur les ordres du jeune homme,
le tocsin a sonné et partout des messagers ont été porter
la nouvelle d'un grand rendez-vous organisé à la
Durbellière. Henri a de la poudre, ceci motive les hommes
valides à venir s'enrôler plutôt chez lui.
Pendant toute la guerre, Monsieur Henri va passer son
temps à courir après ses soldats qui se débandent et
désertent souvent.
Voici la description que Monsieur de Béjarry nous
fait de Henri dans ses mémoires :
"La Rochejacquelein, le brave des braves,
l'éblouissant sabreur, est resté un des héros
légendaires de la Vendée. Son intrépidité n'eut pas
d'égale. Elle fascinait le paysan, l'enivrait, mais souvent
l'entraînait dans des témérités dont il ne se
tirait qu'à force d'audace. En lisant les guerres de
l'empire, je l'ai comparé parfois à cet autre sabreur de
Naples, dont la bravoure téméraire accomplit des prodiges,
quand elle n'amena pas des désastres. Malheureusement La
Rochejacquelein ne posséda pas une capacité égale à sa
valeur. Dans l'action, son coup d'oeil n'embrassait pas tout
le champs de bataille. Dans la direction de l'armée, il se
vit^presque toujours influencé par son conseil, livré
lui-même à une foule d'intrigues, qu'il ne sut pas
dominer. Ses mouvements étaient incertains, son initiative
presque nulle, et dans le combat, il oublia souvent le rôle
de général pour redevenir le brillant officier de
hussards. Son élévation au rand de général en chef fut
plus encore l'oeuvre des paysans que des chefs survivants
qui avaient passé la Loire.
Son caractère était doux ; ses rapports avec les
autres chefs étaient bienveillants et, malgré tout le
prestige dont il se vit entouré, il resta modeste".
Et partout, cette description idyllique d'un grand
chef sera reprise par les auteurs. En fait, il suffit de se
plonger dans d'autres mémoires du temps pour avoir une
description véritable de la personnalité de Henri.
Un brave ou un fou ?
A
suivre...
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