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En 1809, devant l'évidence de l'empoisonnement des puits, on fit
obligation de les rendre étanches. Par ironie amer, cette protection du sous-sol allait provoquer
l'apparition d'un nouveau fléau : les vidanges. De 40
000 mètres cubes au début du siècles leur volume passait à 500 000
cinquante ans plus tard.
L'extraction des matières fécales qui se faisait nuitamment
était, aux dires des contemporains, la honte de Paris. Lorsque les
énormes tonneaux poisseux et suintants venaient se ranger, dans un
vacarme infernal, le long du trottoir, tous les habitants de la rue,
et pas seulement ceux de la maison concernée, calfeutraient portes et
fenêtres et allaient, s'ils le pouvaient, passer la nuit ailleurs. On
avait tenté d'améliorer le procédé par le moyen des fosses
mobiles, sorte de réservoir, que l'on enlevait lorsqu'ils
étaient pleins pour les remplacer par un vide. Mais les manutentions
étaient périlleuses. Il arrivait souvent que les vidangeurs
n'interviennent qu'après qu'il ait débordé. Le sol de la cave
restait alors imprégné et empestait la maison durant des semaines.
Vers 1835 on avait découvert que l'on pouvait atténuer les odeurs
des fosses par l'utilisation de désinfectant : le clore et les sels
métalliques. Il devenait possible d'autoriser le rejet à l'égout
des matières liquides (eaux vannes) ne récupérant dans les fosses
que les précieuses matières solides, indispensables pour les
engrais. Puisqu'on en était à l'observation des basses oeuvres, on
constata également que les eaux vannes fraîches n'avaient pas
d'odeur, celle-ci n'apparaissant qu'avec la fermentation.
C'est ainsi qu'Haussmann fut amené, en 1867, après de longues
hésitations, à admettre l'utilisation de tinettes. Ces
appareils n'étaient rien d'autre qu'un réservoir à filtre ne
retenant que les solides. Ce système avait un avantage
supplémentaire, il permettait d'utiliser l'eau dans les cabinets,
sans restriction particulière, puisqu'elle s'écoulait directement à
l'égout. Le procédé connut un succès certain, puisqu'en 1885
(année où le tout-à-l'égout sera autorisé) on dénombrait 30 000
tinettes pour 80 000 fosses fixes et 14 000 fosses mobiles.
Jusqu'au milieu du XIXème siècles, les matières étaient
apportées à la voirie de Montfaucon (emplacement actuel des Buttes
Chaumont) où elles restaient exposées à l'air libre jusqu'à ce que
l'action conjuguée de la décantation, de la fermentation et de
l'évaporation les ait transformées en matière sèche. Ce résidu,
que l'on appelait "poudrette", était revendu comme engrais
aux maraîchers voisins. La fraction liquide qui ne s'était pas
imbibée dans le sol, s'écoulait tranquillement dans un égout qui
longeait le canal St Martin et se déversait en Seine à l'amont de
l'endroit où les parisiens puisaient leur boisson. Ce "marais
excrémentiel" qui, par vent d'Est, rabattait sur la ville des
odeurs insupportables, dura jusqu'en 1849, date à laquelle on l'exila
dans la forêt de Bondy, de sinistre mémoire. Les résidus liquides y
étaient rejetés dans un égout qui rejoignait la Seine à Saint
Denis.
La banlieue subissait maintenant le contrecoup de
l'assainissement parisien. Cela d'autant plus qu'Haussmann, qui
s'attachait à la construction d'un réseau d'égout moderne, avec
l'obstination et la force du boeuf, était en train de border la Seine
par deux grands collecteurs, rive droite et rive gauche, interceptant
ainsi tous les écoulements parisiens pour les envoyer rejoindre la
Seine au pont d'Asnières. Pour les riverains de l'aval la situation
devenait dramatique. Le docteur Bourneville écrivait qu'une
"fermentation continuelle pendant l'été faisait bouillonner les
eaux du fleuve, ramenait les immondices du fond vers la surface et
dégageait du gaz des marais sous la forme de bulles énormes
atteignant parfois un mètre de diamètre". Comment dans de
telles conditions ajouter aux eaux d'égout les matières fécales,
éminemment putrescibles, qui ne pouvaient qu'amplifier l'infection.
La ville de Paris avait une solution. Depuis 1866 elle
expérimentait dans la plaine de Gennevilliers, un procédé simple
qui consistait à irriguer des terres agricoles avec les eaux
d'égout. Il avait donné d'excellents résultats. La valeur de ces
terrains avait considérablement augmenté. Mais les compagnies de
"vidanges et engrais" ne l'entendaient pas de cette oreille.
Très liées au milieu financier qui tenait une grande partie de la
presse, elles déclenchaient une campagne vigoureuse, attaquant le
principe du tout-à-l'égout. L'opinion publique avait un avis tout à
fait contraire. Et malgré les épidémies de typhoïde de 1882 et de
choléra de 1884 dont on discernant mal l'origine, les locataires
parisiens réclamaient l'amélioration de leurs conditions d'hygiène
par un raccordement d'égout. Ce fut alors au tour des propriétaires
d'entrer dans la danse au nom du refus de "l'eau courante
obligatoire" et en se fondant sur les déclarations de Pasteur,
qui considérait que l'utilisation agricole des eaux d'égout était
dangereuse pour la santé publique.
Malgré le vote de la loi, imposant le tout-à-l'égout en
1894, leur opposition ne se démentit pas. Elle trouva un allié
auprès des habitants de la Seine-et-Oise qui, en raison du
développement trop lent des champs d'épandage, voyaient le fleuve se
polluer. "La Seine est contaminée, perdue perdue d'immondices.
C'est abject". Mais la nostalgie n'était plus de mise. Les
locataires recherchaient maintenant dans tous les quartiers, les
immeubles raccordés. Sous la pression de la concurrence les
propriétaires s'exécutaient en rechignant. En 1923, il n'y avait
encore que 80 % des maisons qui étaient raccordées malgré la loi de
1894 qui ne laissait que 3 ans aux propriétaires pour ce mettre en
règle. Vingt mille fosses et 5 500 tinettes subsistaient encore.
Malgré ces lenteurs, le tout-à-l'égout gagnait définitivement la
bataille. Le grand vaincu n'était ni les vidangeurs, ni les
propriétaires, qui avaient trouvé d'autres sources de profit, mais
bien le fleuve qui naissait à la pollution.
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