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Les uns accusèrent les égouts tous neufs qu'Haussmann venait de
faire construire, les autres les nouvelles usines-dépotoirs de la
banlieue qui transformaient les matières de vidange en engrais, et
qui composaient autour de Parie un collier répugnant.
Un immense tollé s'éleva de toutes parts sur l'état d'insalubrité
de la ville. En cet été torride, la crainte d'une épidémie de
choléra portée par ces miasmes angoissait les habitants. "Il
semblait qu'on fut à la veille d'un empoisonnement général".
Cette affaire relançait la polémique qui depuis 1870 opposait
les tenants du tout-à-l'égout aux partisans de la fosse d'aisance.
Querelle qui s'alimentait alternativement de considérations
scientifiques, économiques ou éthiques, et qui allait provoquer une
campagne de presse de vingt années. Il faudra attendre 1900 pour que
les passions s'apaisent et que le principe d'un assainissement
général des habitations par "l'écoulement direct à l'égout,
des matières solides et liquides des cabinets d'aisance" soit
accepté de tous.
Pourquoi une telle hésitation ? Et quelles furent les conséquences
de ce qui nous paraît aujourd'hui un progrès du confort ? La
tradition parisienne prêtait aux excréments humains des vertus
particulières pour l'engraissement des terres agricoles. Victor Hugo
n'affirmait-il pas que "grâce à l'engrais humain, la terre en
Chine (était) aussi jeune qu'au temps d'Abraham". Il importait
donc que de préserver cette précieuse matière et de ne pas la
dilapider en la rejetant n'importe où et n'importe comment. Surtout
ne rien laisser perdre ! Mais en même temps le stockage et la
collecte de ces produits empoisonnaient la ville, tout en faisant la
fortune des vidangeurs.
Jusqu'à une période récente les parisiens s'étaient accommodés de
leur puanteur. Elle venait du fond des âges et faisait partie du
paysage parisien. Cependant, depuis le début du XIX ème siècle la
situation avait considérablement empiré. Sous l'afflux des immigrés
de province, la ville se clochardisait et s'enfonçait dans
l'insalubrité. Les chemins de fer avaient déversé à pleins wagons
une population pauvre venue, ici, chercher du travail. Dans le cadre
inchangé des rues, des palais, des maisons et des passages du XVIII
ème siècle, une autre ville avait grandi. Les vieilles demeures
avaient été investies, transformées en garnis, en ateliers, en
fabriques. Les cours et les jardins s'étaient couverts de
constructions. Les rues déjà étroites étaient devenues des
corridors, enterrés aux pieds des maisons qui s'exhaussaient,
s'avançaient et se boursouflaient. "On se croirait dans une
ville souterraine tant l'atmosphère est pesante, tant l'obscurité
est profonde" déclarait un contemporain. Une voyageuse anglaise
s'offusquait de la saleté ambiante : "vous ne pouvez pas faire
un pas sans que votre vue et votre odorat soient choqués et
dégoûtés de toutes les façons imaginables".
C'est dans
ce décor qu'allait se déclencher,
au début de l'année 1832,
la première épidémie de choléra |
L'engorgement
des eaux usées dans les égouts plusieurs fois centenaire est
directement à l'origine de la grande épidémie de choléra de 1832.
En
quelques mois, 18000 personnes trouvaient la mort. La plupart, pour ne
pas dire la quasi totalité de celles-ci, habitaient les quartiers
pauvres et insalubres du centre. Bien que la cause exacte du mal reste
inconnue, les contemporains ne pouvaient manquer d'être frappés par
les limites d'extension de l'épidémie qui respectait très
scrupuleusement les frontières de la misère. Le choléra s'acharnait
sur les taudis. La commission de salubrité pouvait déclarer avec
certitude que le choléra "se nourrissait de l'étroitesse et de
l'embouteillage des rues, de la hauteur excessive des maisons qui
rendait les rues obscures, sales et humides, du mauvais système
d'écoulement des eaux ménagères, de l'absence de système de
nettoiement, du top petit nombre de bornes-fontaines et de
l'insuffisance des égouts". Pourtant depuis 1825 la ville avait
consenti des efforts importants pour assurer un semblant d'hygiène.
Grâce à la dérivation de la rivière de l'Ourcq, qui venait de
s'achever, elle possédait maintenant des volumes d'eau, en principe
suffisants pour assurer le nettoiement des rues et des égouts. Une
série de bornes fontaines, judicieusement placées, devaient
provoquer un écoulement permanent dans les caniveaux. Hélas ! On
avait pêché par optimisme. L'eau n'arrivait pas aussi bien qu'on
l'avait espéré. Etranglées par la pénurie, les belles bornes du
préfet Rambuteau ne coulaient que quelques heures par jour. D'autre
part la fraction pauvre de la population n'avait guère tardé à les
squatter pour y remplir ses cruches, ses moyens ne lui permettant pas
d'acheter sa boisson aux porteurs d'eau.
A cette époque l'eau de boisson, qui provenait de la Seine,
n'était distribuée que dans quelques fontaines où il était
difficile de s'approvisionner, en raison de la cohue qui y régnait.
Quant à avoir un robinet chez soi, il ne fallait pas y songer, dès
lors que l'on n'habitait pas une maison de luxe. Pourtant la ville
proposait aux propriétaires de souscrire un abonnement qui donnait
droit à une distribution à domicile.
Mais, il n'y avait pas une maison sur cinq pour accepter cette
proposition. Ouvrir leur maison à l'eau courante avait comme
conséquence, aux yeux des propriétaires de remplir trop rapidement
les fosses en incitant les locataires à nettoyer les cabinets. Vingt
ans plus tard Haussmann constatait la permanence de cette attitude. Le
refus d'admettre l'eau courante à domicile restait une constante du
propriétaire parisien. "Chaque mètre cube de matière que
contiennent les fosses d'aisance coûte environ 8 francs de vidange.
Le volume total n'est pas moindre, en ce moment, de 200000 mètres
cubes par an, et il augmente suivant une progression constante. La
cause principale de ce rapide et onéreux accroissement est l'habitude
qui se répand de plus en plus, de jeter dans les fosses de notables
quantités d'eau. On conçoit que les propriétaires soient peu
disposés à des dépenses quelconques pour faire parvenir l'eau à
chaque étage de leurs maisons, lorsqu'ils prévoient qu'ils auront
ensuite de grosses sommes à payer pour la faire sortir de leur
fosse". Sur 6229 maisons abonnées aux eaux de la ville, il n'y
en avait, à son époque, que 140 qui les recevaient aux étages.
Paris comptait alors 30000 immeubles. On imagine aisément les
conditions d'hygiène dans lesquelles vivaient les parisiens. Quant à
la population pauvre c'était pire. En 1870, le directeur des eaux de
Paris reconnaissait que "les maisons occupées par les ouvriers
(étaient) presque toute privées d'une distribution d'eau. Le
propriétaire prend les mesures les plus rigoureuses et les plus
arbitraires, et par exemple, interdit l'emploi de l'eau dans les
cabinets d'aisance", précisait-il.
C'est le 13 septembre 1533 que le parlement de paris avait
imposé le creusement d'une fosse sous chaque maison. Ce ne furent que
des passoires. Elles perdaient leur contenu dans le sol, entraînant
une infection de la nappe phréatique. En 1809, devant l'évidence de
l'empoisonnement des puits, on fit obligation de les rendre étanches.
Par ironie amer, cette protection du sous-sol allait provoquer
l'apparition d'un nouveau fléau : les vidanges.
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