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Bourganeuf,
petite ville de la Creuse...
Le Château et la tour "Zizim"...
A la fin du XV ème siècle est venu y séjourner, séjour forcé, un
prince sorti tout droit des "contes des Mille et une nuits"
(...)
Il
faut dire que les geôliers du prince ont de bonnes raisons d'exercer
une surveillance serrée. Ils redoutent pardessus tout des tentatives
d'enlèvement. En effet, Djem qui aurait pu continuer son existence à
Bourganeuf jusqu'à la mort, trouble le sommeil de nombreux princes tant
chrétiens que musulmans, car il représente une valeur diplomatique
importante. N'oublions pas que Constantinople et l'empire bysantin ne
sont tombés aux mains des Turcs qu'en 1453, et que le désir de
reconquête est encore grand. Pour les musulmans, Djem est une menace.
C'est pourquoi on voit s'exercer de subtiles manoeuvres en direction de
Bourganeuf : René duc de Lorraine (par le biais de Geoffroy
Bassompierre et Jacob de Germigny), le roi Matthias Corvin de Hongrie
(vers qui Djem a envoyé des émissaires sans doute assassinés par sa
suite avant d'être partis), le roi Ferdinand de Castille, Ferdinand de
Naples, le sultan d'Egypte.
Le
Grand Maître des chevaliers de Rhodes, sollicité de toutes parts pour
livrer son prisonnier encombrant, résiste à toutes les pressions.
Mais, le pape lui-même, Innocent VIII, en vue d'un projet de croisade
contre les Turcs, estime pour réussir, devoir posséder le prétendant
au trône pour faire reculer Bajazet. Pierre d'Aubusson ne peut pas
refuser au chef de la Chrétienté, et, après accord du roi de France
Charles VIII, livre son prisonnier sous certaines conditions. Le roi
exige en effet des ambassadeurs du pape et du Grand Maître de ne
remettre le prince Djem à aucun des ses ennemis et de le conduire
"sûrement" (c'est-à-dire en sécurité) dans les Etats
Pontificaux. Il envoie même un détachement de 200 hommes sous les
ordres d'un fidèle courtisan, pour protéger le précieux transfert. Le
10 novembre 1488, l'escorte quitte Bourganeuf pour Toulon.
Pierre d'Aubusson en remerciement de son geste envers le pape recevra le
chapeau de cardinal et le titre de légat-général du Saint-Siège en
Asie.
Escorté de 400 hommes et autant de chevaux, Djem s'embarque à Toulon
à bord d'une galère des chevaliers à destination de Civita-Vecchia,
port de Rome, dans les Etats Pontificaux. Reçu en mars 1489, avec les
honneurs dus à un souverain, le pape lui accorde un appartement au
Vatican. Innocent VIII ayant placé sa pièce maîtresse sur
l'échiquier politique, va pouvoir réaliser son projet de croisade. Il
écrit aux souverains européens que le prince prétendant, s'il
recouvre son trône, retirera les Turcs de Constantinople et des rives
asiatiques. Ce projet décide Bajazet à supprimer son frère renégat
par l'intermédiaire de Cristofano de Castrano, dit Magrino, qui devait
empoisonner l'eau de la fontaine du Belvédère, destinée à la table
de Djem. Le projet fut éventé en mai 1490 et Magrino fut pendu.
Les papes sont mortels comme les autres hommes. En 1492, à Innocent
VIII succède Alexandre VI Borgia, peu fait pour être pape, à la
vérité. Il entretient d'excellentes relations avec Djem, sort à
cheval avec lui dans la campagne romaine, l'accepte dans les processions
pontificales, vêtu à l'orientale. Ce nouveau pape ambitieux et peu
religieux abandonne le projet de croisade européenne qui est repris par
le roi Charles VIII. Ce dernier, venant revendiquer un héritage
lointain, débutait victorieusement la série des "guerres
d'Italie" et souhaitait à son tour détenir Djem avant de
s'embarquer vers Constantinople. Devant les victoires françaises,
Alexandre VI négocie secrètement avec Bajazet la vie de l'infortuné
Djem. De sombres tractations ont lieu dont une (qui n'est pas admise par
tous les historiens) qui aboutit "à enlever Djem aux misères de
cette terre" ! moyennant 300 000 ducats. Toujours est-il que
Charles VIII, entré en vainqueur à Rome le 31 décembre 1494, devenait
le nouveau maître de Djem.
Peu de Temps après, poursuivant son entreprise, Charles VIII se
dirige vers Naples, avec son prisonnier, mais pas pour longtemps. En
effet, l'ancien captif de Bourganeuf n'a été remis aux Français que
pour mourir mystérieusement. On connaît la réputation (en partie
justifiée) des Borgia pour les crimes au poison, au point que Commynes
n'hésite pas à affirmer que Djem a été "baillé
empoisonné" ! De là à accuser indirectement le pape , son fils
César Borgia qui a escorté un temps le prince, un envoyé de Bajazet
ou le barbier Mustafa qui aurait empoisonné son rasoir, il n'y a qu'un
pas ! Les suppositions allèrent, et vont toujours bon train. Peut-être
n'est-il mort que des suites de sa captivité ? Djem est mort(1)
en 1495, à trente-six ans et son frère
Bajazet est désormais débarrassé de son encombrant rival, d'autant
que la croisade chrétienne est tombée à l'eau temporairement. Notons
que le sultan mourra empoisonné par son fils Sélim le Cruel en 1512.
Juste retour des choses !
L'ombre
de Zizim à Bourganeuf.
Si toute cette sombre et complexe histoire, où se mêlent Orient,
poison, Hospitaliers, prison, évasion, enlèvement, en bref tous les
éléments du meilleur roman policier, est généralement un peu
oubliée, où peut-elle mieux être évoquée qu'à Bourganeuf où
subsiste le décor que l'on peut visiter, la chapelle de la commanderie,
la tour Lastic et la tour Zizim. Solide et élégante, cette tour de
pierres taillées en bossage, couverte d'une charpente en chêne à
trois étages, est une belle construction du XVème siècle. Un escalier
à vis, taillé dans l'épaisseur de la muraille, conduit à une
plate-forme supérieure. Parvenu au sommet, il est loisible d'imaginer
le prince en compagnie de Marie de Blanchefort ou d'Almeida, sa
favorite, essayant, par dessus les verdoyants vallons et les collines
boisées de la Creuse, de revoir Andrinople, la ville qui lui donna le
jour en 1459.
Fin
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