JOURNAL DE VOYAGE
DAIME ALBERT BOUCHER
ESCALE
A SINGAPOUR
Le
premier légionnaire est péché par une chaloupe Anglaise qui croit d’abord
à un accident, mais qui s’empresse de lui rendre sa liberté dès qu’il
a fait son récit.
Le
second se noie. Le troisième exténué est, à sa demande, secouru par
une chaloupe indigène qui le reconduit à bord, où il est aussitôt
écroué (dans ce cas l’équipage indigène reçoit une prime).
Ces
légionnaires, ne sont pour la plupart, pas d’origine Française. Ils
ne touchent pas de prime de rengagement et, je me demande pourquoi, ils
s’engagent pour s’évader ensuite. A mon avis c’est pour se donner
un nom en remplacement du leur, sali et déshonoré à jamais dans leur
pays.
Nous
stoppons, il est huit heures. Je n’ai pas de peine à croire que
Singapour soit un des ports les plus importants du monde entier tant il y
a de bateaux de nationalités différentes. J’y vois également le
courrier qui nous a devancé hier.
Il doit
être bien agréable de vivre dans cette ville ombragée par de grands
arbres verts, bien plus hauts que les habitations.
De
chaque coté de l’entrée du port, les maisons sont entourées de ces
magnifiques ombrages, c’est à en envier ceux qui les habitent.
Le port
de Singapour est pour ainsi dire naturel. Nous sommes mouillés à
environ deux cent mètres de la ville. Les constructions qui y sont
élevées sont importantes et fort jolies. Comme on peut le voir sur la
carte, Singapour est situé dans un détroit auquel on a donné le nom
de Malaka. Ce sont les Chinois qui ont le monopole de son important
commerce. Ce sont eux qui viennent nous vendre des fruits et du tabac.
De
petits youyous viennent à bord chercher les passagers civils qui
désirent descendre à terre.
On fait
des provisions d’eau, des buffles pour la consommation sont
embarqués, à six heures, on aborde le quai au charbon pour y faire
provision de combustible.
Par
crainte de nouvelles désertions, une garde de vingt hommes descend sur
le quai, après qu’un officier Anglais l’ai autorisé. Je pense que
ceux qui en avaient l’intention s’en garderont bien tant que le quai
sera gardé, et, aussitôt qu’il n’y aura plus de surveillance, ils
n’hésiteront pas à satisfaire leur désir.
Il ne
fait pas encore nuit et je peux voir avec plaisir des hirondelles s’ébattre
dans les airs, c’est agréable de rencontrer ces petits êtres en
janvier, alors que chez nous on en est privé à cette époque.
Je
découvre aussi ce que l’on appelle des pousse-pousse, ce sont des
petits cabriolets à capote à une place et qui sont traînés par des
indigènes constamment au trot.
Les
chevaux deviennent plus rares que chez nous et beaucoup de chariots sont
tirés par des buffles qui trottent parfaitement, mais, quand ils le
veulent bien !
Vers
six heures trente, la nuit vient surprendre notre contemplation et
toutes ces nouvelles choses disparaissent dans les ténèbres qui nous
entourent à présent.
Journée du 9
Dès le
matin, le gaillard est envahi par nous tous. Bien que plus près de la
ville qu’hier, nous ne l’apercevons pas car les arbres verts qui
ornent les quais, cachent complètement notre vue. Une quantité de
chaloupes vont aux docks faire chargement de riz, de café..., pour
ensuite transporter ces marchandises dans les paquebots restés en rade.
J’ai oublié de dire que l’on s’était amarré près du transport
Russe, que nous avions laissé à Colombo. Dès huit heures, ce
transport se met en route, les passagers de son bord ne se composent que
de soldats et marins Russes, ils nous font une ovation, encore plus
émouvante que celle de Colombo :
Au
milieu d’un grand silence, un marsouin du 23éme, muni d’un
piston, joue l’hymne Russe et la Marseillaise. Les Russes sont
découverts et acclament chaleureusement ces deux morceaux, tandis qu’un
hourra frénétique se fait entendre des deux bateaux.
On peut
comparer l’agitation des coiffures des Russes à celle d’une
fourmilière que l’on vient de labourer, et, le bruit des souhaits à
celui d’un essaim d’abeilles qui passe près de nous.
Je n’avais
pas été le seul à prévoir les désertions qui pourraient avoir lieu
lors de notre départ : à neuf heures, on nous fait évacuer le
pont et descendre dans les batteries et ainsi éviter tous les sauts à
la mer. Ce n’est pas des plus agréable pour moi, qui n’aie pas l’intention
de me sauver. Mais comme on dit au régiment : bien se soumettre,
sans hésitation, ni murmure, aux ordres supérieurs !
Prochain
épisode : DE SINGAPOUR A SAÏGON
Evelyne
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