JOURNAL DE VOYAGE
DAIME ALBERT BOUCHER
DE SUEZ A DJIBOUTI
Journée du 17
Aujourdhui la mer est toujours
tranquille. Jusqu'à 8 heures on aperçoit la terre sur notre gauche, après elle
disparaît peu à peu. A cette même heure nous rencontrons deux vapeurs qui trop loin de
nous ne laissent percevoir ni leurs noms, ni la nation à laquelle ils appartiennent. Un
autre nous suit, son allure est plus accélérée que la nôtre et bientôt il va nous
devancer. En effet à dix heures il est en face de nous. Cest un vaisseau de guerre
Anglais, le Chodoc hisse alors son pavillon français pour le saluer. Il faut savoir que
lorsquun navire marchand rencontre un navire de guerre de quelque nation quil
soit, il lui doit le salut, faute de lexécution de cette règle le vaisseau de
guerre peut bombarder celui-ci dun coup de canon à blanc et si le navire marchand
répond à cette attaque le combat commence, tandis que siffler sans répondre et
lincident est clos. Il nous dépasse et reste à notre vue jusqu'à quatre heures du
soir .
A ce moment je prends la garde et suis
loin den être contrarié. La température sera certainement meilleure cette nuit
sur le pont que dans la batterie, car si la température na jusquà Port-Said
que peu changée, depuis elle sest subitement rehaussée.
Journée du 18
Je suis de faction deux heures sur six
couché simplement sur un unique couvre-pieds à lentrepont. Jabandonne cet
endroit pour grimper sur le pont relever mon camarade, il est alors quatre heures du soir.
Japerçois sur la droite un vapeur que nous croisons, il fait très doux la mer est
bien calme.
A partir daujourdhui le port du casque est obligatoire. Cest
certainement dune grande utilité, mais les imprudents ne manquent jamais et
jassure que le soleil de 8 heures du matin jusqu'à 5 heures du soir est absolument
dangereux. Le service moblige à rester toute la journée au poste sur
lentrepont, je puis donc contempler la mer à mon aise et cest de là que
jai vu le plus de poissons. Dans la journée, il y en avait de très gros qui
faisaient de majestueux sauts au niveau de leau pour aller repiquer une tête une
cinquantaine de mètres plus loin (marsouins). Une chose qui ma étonné beaucoup,
ce sont les poissons volants, je ne me serais jamais imaginé une chose pareille :
figurez vous que ces petits poissons à peu près de la taille dun hareng sortent de
leau et senvolent jusqu'à une distance denviron cent mètres,
cest à dire quils restent en lair tant que leurs petites membranes sont
mouillées.
Après avoir contemplé toutes ces choses je me couche de bonne heure car le peu de repos
de la dernière nuit et la chaleur intense de la journée mont un peu fatigué.
Journée du 19
Le lendemain la mer est toujours
magnifique, tout à coup, nous nous apercevons que notre bateau ne marche plus et on se
demande le motif de cet arrêt.
Le condensateur des moteurs de la machine est démoli .
Comme à bord dun transport de limportance du Chodoc il y a le nécessaire
tant en hommes quen outils pour faire les réparations, au moins provisoirement, on
aura donc pas à demander du secours. Malgré cela les signaux de détresse sont hissés
aussitôt pour indiquer larrêt du bateau.
Enfin après cinq heures darrêt
nécessité par les réparations, le bateau se remet en marche et nous faisons de nouveau
route vers Djibouti.
Pendant notre arrêt jai eu
lavantage de voir un requin, ce vilain poisson sest approché à quelques
mètres du bord pour saisir les morceaux de pain que samusent à lui jeter des
camarades et se dirige vers larrière du bateau, il nest vraiment pas sauvage,
là les officiers laccueillent à coups de carabines et après lavoir salué
de la sorte nous reprenons notre route comme je lai dit plus haut. Cest à ce
moment que nous croisons un navire de guerre français. Ceci fait plaisir de voir flotter
les trois couleurs ailleurs quà notre bord.
Dans le reste de laprès-midi nous
rencontrons quelques rochers par ci par là, la mer est toujours bonne et brillante comme
un miroir.
Journée du 20
De même quhier la mer est toujours
belle, on aperçoit encore des rochers. La chaleur est intense dans les batteries où
lon respire une odeur infecte car louverture des hublots est interdite pendant
la marche, ce qui seulement pourrait donner de lair. De plus on est tassés comme
des sardines dans un panier, deux cent vingt hommes occupent la batterie qui mesure
environ quatre vingts mètres de superficie. Vous pouvez croire daprès ceci que
lon a pas grand espace pour sébattre.
La nuit venue on voit une
curiosité : les effets, la phosphorescence qui fait miroiter une myriade
détoiles dans leau que le bateau déplace.
Ces choses sont très fréquentes dans la
mer rouge, on les voit également dans les autres mers à lépoque des grandes
chaleurs. Jattends sur le pont un peu de fraîcheur avant de me décider à
descendre à ma couchette. Je ne my décide quà onze heures .
Journée du 21
Ce matin vers huit heures nous sommes en
vue de Périm, nous y entrons à neuf heures sous la direction dun pilote.
Perim est une île Anglaise bien pour
habiter. Quelques Européens et indigènes seulement sont employés au port et ont
lair dêtre les seuls habitants de cette localité. Son port ma
lair bien abrité par suite de son renfoncement dans les terres. Nous y faisons du
charbon et nous repartons à une heure en regardant cette île presque déserte brûlée
par le soleil, aucun arbuste ny végète et dont la terre ou plutôt la pierre est
noircie par le soleil aride .
Les côtes restent toujours en vue sur
notre gauche, la mer est toujours bien calme. A six heures nous sommes en vue de Djibouti
où nous arrivons à sept heures, malheureusement il fait nuit.
Prochain épisode :
Escale à Djibouti et traversée de Djibouti à Colombo
Evelyne
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