JOURNAL DE VOYAGE
DAIME ALBERT BOUCHER
Soldat de 1ère classe au
23ème régiment d'infanterie coloniale, 9ème compagnie, 3ème bataillon
Ce jeune Normand, fils
dun Journalier, originaire de BOUELLES petite commune du pays de Bray
(Haute-Normandie) a consigné dans un cahier décolier le récit de sa traversée de
Toulon au Tonkin.
Le texte empreint
dune attachante naïveté a été fidèlement reproduit par sa petite-fille ..
PREFACE
Je ne veux pas ici vous
composer des vers, non, car je ne suis pas poète. Je veux seulement par un style peut
être imparfait, mais que mon intelligence ne permet pas dêtre mieux
combiné !.. Vous faire le récit de mon voyage de Paris au Tonkin .
Je ne dois pas expliquer
la cause de mon départ à la colonie car aujourdhui nul ne doit lignorer.
Heureux ceux que la
nature a favorisé de la fortune, lavenir est à eux. Mais les délaissés nen
sont pas là ! Ceux qui doivent comme moi, au péril de leur vie, trouver un moyen en
prévoyance de lavenir. Et le moyen que jai choisi, cest de partir à la
colonie.
Je ne veux cependant pas
mamuser à cette question. Dont jaurai beaucoup de choses à dire, à un point
que je pourrais sans peine en remplir les pages de mon cahier. Non ce nest pas ce
que je veux. Mon but est dattirer votre attention sur les péripéties dun
voyage sur mer si cela peut vous intéresser.
DE PARIS A
TOULON
Etant appelé pour trois
ans dans linfanterie coloniale le 16 novembre de lannée 1901, jai dû
rejoindre mon corps à Cherbourg où jai séjourné environ 11 mois. Le 23 éme
régiment de cette arme ayant été formé pour tenir garnison à Paris, cest avec
joie que japprend mon envoi dans ce régiment. Mais je ne devais pas y rester
longtemps.
En effet ayant entendu
parler dun prochain versement pour la colonie du Tonkin. Et presque aussitôt on
demandait des volontaires et je fus de ce nombre.
Cest alors que les
préparatifs du départ étant terminés, nous quittons le Fort de Montrouge le 29
novembre à 8h30 du matin, musique en tête, nous traversons une nombreuse foule qui nous
acclame chaudement et nous nous dirigeons sur la station Rapée-Bercy afin de prendre le
train spécial qui doit nous amener jusqu'à Marseille.
Après une organisation
qui dura environs une heure et demi et pendant que les musiciens du 21 et du 23 ème
entament la Marseillaise, le train siffle et sébranle lentement, là beaucoup de
parents et damis agitent leurs mouchoirs en nous criant au revoir et bon voyage, il
est alors 10 heures 2O. (et adieu Paris !)
Au bout dune
demi-heure le train file à une allure vertigineuse. Successivement nous passons à Melun
vers midi, à 7 heures du soir à Dijon, à 10 h à Macon, à 11 heures à Lyon, à 5
heures du matin nous arrivons à Avignon, ici nous avons un arrêt assez long, nous
permettant de prendre le café préparé davance, et spécialement pour nous, au
buffet de la gare. Enfin à neuf heures, nous sommes à Marseille.
Content davoir
terminé ce voyage en chemin de fer, chacun sapprête à descendre, mais surprise,
une machine se place à larrière du train qui se remet aussitôt en route pour
Toulon. Ceci est dû aux grèves, des inscrits maritimes, qui règnent en ce moment dans
le port de Marseille. A la station dAubagne où nous arrivons vers 10 heures, il
nous est distribué un repas froid, que chacun sempresse de déguster, car les
estomacs commencent à être vides. Il est midi précise quand nous arrivons en gare de
Toulon. En moins dun quart dheure tout est débarqué et on prend le chemin de
la caserne du 8ème colonial située en dehors et bornant la ville.
Un des bassins du port
baigne le quartier du 9éme à une de ses extrémités. Cest là que se
retrouvent trois anciens vaisseaux de guerre servant de casernement à une partie du 8éme
. Cest aussi un de ces bâtiments qui doit mabriter pendant le temps que nous
aurons à rester à Toulon. Je ne me cache pas de vous dire que nous navons pas
toutes nos aises dans ces logements aussi provisoires que possible. On y accède au moyen
de pontons en bois . Nous sommes dabord très mal couchés, une méchante et unique
paillasse consiste notre fourniture de literie, de plus lair y est infect.
Enfin y resterons nous
longtemps à ce Toulon ! (Dieu le sait). Tous sennuient ici. Le Chodoc qui doit
nous transporter est attendu impatiemment. Dès quon entend la sirène dun
bateau qui rentre dans le port, chacun accourt sur les vaisseaux dont jai parlé
plus haut pour voir sil arrive en rade. Mais hélas, il nen est rien, car on
ne le voit pas paraître. Cest une véritable course de journaux ! Petit
Parisien, Provençal ou Marseillais. Dun côté on entend dire le Chodoc appareille
à Marseille, dun autre le Chodoc na pas dordre pour partir, mais en
choeur au moindre bruit , tous sécrient (Vlà le Chodoc)
Je dois dire que nous
devions embarquer à Marseille, mais les grèves qui y règnent, nous ayant valu comme je
lai dit plus haut, de venir à Toulon, sont cause également du retard que subit
notre départ .
Il faut que je fasse un
petit détour avant de revenir à mon point de départ, je veux vous parler dun
phénomène de la nature dont jai été témoin et qui ne se produit certainement
pas dans le coin de la France où nous habitons : le 5 décembre tandis quon
sest endormis au bruit dune pluie presque torrentielle, quelle ne fût
pas notre surprise le matin en nous réveillant un spectacle splendide soffre à nos
yeux, les collines qui dominent la ville, sont couvertes dun superbe manteau de
neige dune blancheur magnifique, il est dautant plus beau que le soleil le
fait briller comme une véritable glace et chose curieuse, près de la mer où nous sommes
il nen est pas tombé un seul flocon.
Enfin lheureux
moment est arrivé, après avoir touchés nos casques et trois paquets de tabac
davance, lofficier de détachement nous passe une revue et nous invite à nous
tenir prêt à embarquer le lendemain à 9 heures du matin.
FIN DE
LA PREMIERE PARTIE DU RECIT
Prochainement : EMBARQUEMENT
ET TRAVERSEE DE TOULON A PORT SAID,
Evelyne
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