Pour
terminer ces pages sur BERANGER, laissons la parole à ses
contemporains.
Ernest
LEGOUVE : Béranger des écoles
" Admiré
par les classiques, applaudi par les romantiques, fêté par
la jeunesse, adoré du peuple, porté au pinacle par les
libéraux, honoré par les républicains, sympathique même
aux socialistes, sa réputation touchait à la renommée quand
sa mort le porta jusqu'à la gloire. Alors s’éleva dans le
public un hosanna général pour celui qu’on nommait le
poète national. Pendant plusieurs semaines les journaux
furent pleins de vers de Béranger, de mots de
Béranger. "
" Quelques
mois s’étaient écoulés, que la presse républicaine se
retournait avec violence, avec aveuglement et injustice contre
celui qu’elle admirait la veille, parce qu’on venait de
publier de lui certaines pièces sur Napoléon. Les royalistes
qui n’avaient jamais désarmé, se joignirent avec passion
à eux, les libres-penseurs et les cléricaux firent
chorus : finalement la gloire du chansonnier ne put
résister à de telles attaques : on n’osât plus le
citer, on cessa de le lire, on eut honte de le
défendre : la jeunesse se dégoûtât de lui avec la
même passion qu’elle s’en était jadis
engouée ".
SAINTE-BEUVE :
Causerie
du lundi, Béranger
Ce
qui caractérise Béranger entre ceux de nos poètes
contemporains justement célèbres, c’est d’avoir tous les
traits du génie poétique français, de reproduire en plein
ce génie dans tous les sons, d’y atteindre naturellement
par tous les bouts : bon sens, esprit, âme, il réunit
en lui ces qualités évidentes dans une mesure complète,
auparavant inconnue, mais qui ne pouvait se rencontrer que
chez nous. A lire nos autres poètes vivants, on sent toujours
chez les plus instinctifs quelque chose qui transporte
ailleurs, qui nous jette vers d’autres contrées, en d’autres
souvenirs, qui rappelle que Pétraque et Le Tasse ont gémi,
que Goethe et Byron sont venus. Chez Béranger, rien de
tel ; et toutefois il est autant contemporain du siècle,
aussi avancé dans l’avenir, qu’aucun. Il n’a guère
fait dans sa vie, je crois de plus long voyage que celui de la
rue Montorgueil à Péronne ou peut être à Dieppe ; et,
en vérité, il n’a pas eu besoin d’en voir davantage, La
Fontaine n’en a pas plus fait, Boileau était allé plus
loin jusqu'à Namur, et Racine jusqu'à Uzès, Béranger tient
au terrain, la nature qu’il peint à la dérobée et qu’il
aime, ce sont nos cantons fleuris, notre joli paysage
entrecoupé, des vignes, des bois, de petites maisons blondes,
Passy, même Suresnes. Son amour inconstant et un peu sensuel
dans sa tendresse, en est resté à la bonne vieille mode de
nos aïeux, à la mode de ma Mie et du bon roi Henri
,avant la nouvelle Héloîse et Werther. Je reconnais dans
Lisette la petite fille de Manon, ou de cette Claudine que
courtisa La Fontaine. Quant au Dieu de Béranger, c’est un
Dieu indulgent, facile, laissant beaucoup dire, souriant aux
treilles de l’Abbaye de Thélème, n’excommuniant
pas l’abbé Mathurin Régnier, pardonnant à l’auteur de Joconde,
même avant son cilice : c’est un Dieu, comme
Franklin est venu s’en faire un en France, comme Voltaire en
rêvait en ses meilleurs moments, lorsque, d’une âme émue,
il écrivait : si vous voulez que j’aime encore...
Théologie,
sensibilité, peinture extérieure, on voit donc, que chez
Béranger, tout est vraiment marqué au coin gaulois, qu’on
ajoute à cela un bon sens aussi net, aussi sûr, mais plus
délié que dans Boileau, et l’on sentira quel poète de
pure race nous possédons, dans un temps où nos plus beaux
génies ont inévitablement, ce semble, quelque teinte
germanique ou espagnole, quelque réminiscence livresque ou
dantesque.
J’ai
pris goût à la république
Depuis que j’ai vu tant de rois,
Je m’en fais une, et je m’applique
A lui donner de bonnes lois.
On n’y commerce que pour boire,
On n’y juge qu’avec gaieté,
Ma table est tout mon territoire ;
Sa devise est la liberté.
Amis
prenons tous notre verre :
Le sénat s’assemble aujourd’hui.
D’abord, par un arrêt sévère,
A jamais proscrivons l’ennui.
Quoi ! proscrire ? Ah ! ce mot doit être
Inconnu dans notre cité.
Chez nous l’ennui ne pourra naître :
Le plaisir suit la liberté.
Du
luxe dont elle est blessée,
La joie ici défend l’abus ;
Point d’entraves à la pensée,
Par ordonnance de Bacchus.
A son gré que chacun professe
Le culte de sa déité ;
Qu’on puisse même aller à la messe
Ainsi le veut la liberté.
La
noblesse est trop abusive :
Ne parlons point de nos aïeux.
Point de titre, même au convive
Qui rit le plus ou boit le mieux.
Et si quelqu’un, d’humeur traîtresse,
Aspirait à la royauté,
Plongeons ce César dans l’ivresse,
Nous sauverons sa liberté.
Trinquons
à notre république,
Pour voir son destin affermi.
Mais ce peuple si pacifique
Déjà redoute un ennemi :
C’est Lisette qui nous rappelle
Sous les lois de la volupté.
Elle veut régner, elle est belle.
C’en est fini de la liberté.
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Sources :
Chansons de Béranger,
préfacé par Pierre des Brandes
Ed Garnier (1890) |
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Evelyne
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