Outre
ses amis de Paris, il y avait les amis de Péronne qu’il
allait voir de temps en temps, et c’est pour eux qu’il
chanta sa première chanson. Ils étaient heureux de se revoir
et de chanter ensemble le verre à la main. Ils baptisèrent
leur réunion le couvent des Sans Souci. Ayant fait
une chanson contre les maladroits Chevaliers de l’Arquebuse,
dont la verve satirique faillit allumer la guerre dans
Péronne, il comprit que la chanson s’adressait aux
meilleurs sentiments de l’homme et à ses passions. L’ironie
était sa muse !
C’est
en revenant de Péronne qu’il écrivit ces petits chefs-d’œuvre :
Le Sénateur, le Petit Homme gris, les Gueux et le
Roi d’Yvetot ; on chantait cette chanson tout bas,
on s’en passait des copies clandestines. La police
susceptible eut peur : mais si l’Empereur fut
consulté, s’il eut la fine satyre, il dut bien s’amuser,
et certainement il pensa qu’il n’y avait rien à redouter
de celui qui chantait le bon petit Roi, à l’heure de la
toute puissance impériale ; prévit-il que le jeune
poète le chanterait au moment de la défaite et porterait sa
gloire plus haut que le vol de l’aigle et ferait avec son
nom tressaillir le cœur de tout un peuple ? Béranger
sincère républicain fut, par patriotisme, l’apôtre de la
légende, le créateur de l’épopée napoléonienne.
Malgré
ses préventions contre les associations littéraires,
Béranger fut vivement touché de la bienveillance et des
applaudissements qui l’accueillirent au Caveau (où
Désaugiers lui-même l’avait invité et dont il fut élu
membre séance tenante à l’unanimité). Dès ce jour, sa
réputation de chansonnier se répandit dans toute la
France : mais qu’elle ne fut pas sa reconnaissance,
Béranger ne put jamais prendre sur lui d’être un convive
assidu à des banquets qu’il avait raillé d’avance, en
1810, dans sa chanson des Gastronomes, et son caractère
austère et grave, malgré l’enjouement de son esprit, l’empêchait
d’y faire bonne figure. Il ne consentait pas non plus, sous
prétexte qu’il était chansonnier, à se prêter à
certaines faiblesses qui ne tiraient pas à conséquence chez
les membres du Caveau, par exemple à être offert en
spectacle à de riches étrangers, par le maître de l’établissement
du Rocher de Cancale, durant les Cent jours, son
patriotisme eut aussi tant à souffrir de ce qu’il
entendait, qu’il n’y mit les pieds.
En
1814, Béranger assista le cœur navré à l’entrée des
alliés dans Paris, il suffit de lire dans sa Biographie,
les pages dans lesquelles il raconte cet événement, pour
comprendre le poète de Napoléon, plein de haine pour l’Anglais,
et de mépris pour les Bourbons qui allaient le poursuivre et
le faire condamner à la prison, parce qu’il a stigmatisé
de son verbe brûlant comme un fer rouge les valets, les
ci-devant, les parvenus, les renégats, les cagots ;
parce qu’en présence de l’ennemi, en voyant la France
meurtrie, humiliée, il a chanté le grand capitaine victime
de la félonie anglaise, il a fait entendre toutes les
trompettes, tous les canons, tous les cris de
victoire
qui, pendant quinze ans, firent trembler tous ces peuples qui,
pour triompher de leur redoutable ennemi, n’ont pas craint d’appeler
à leur secours, l’ambition, la jalousie, l’ingratitude et
la défection.
Le premier
recueil des chansons parut en 1815, le second en 1821, c’est
pour celui-ci que Béranger fut poursuivi devant la cour d’assise
de la Seine et, malgré l’éloquence de Dupin, condamné le
8 décembre, à trois mois de prison et cinq cents francs d’amende.
La reproduction des chansons incriminées et la réunion en
volume des débats auxquels elles avaient donné lieu,
attirèrent à l’auteur un second procès, mais le jury l’acquitta.
En 1825, parurent les Chansons nouvelles et, en 1828, les Chansons inédites
pour lesquelles Béranger se vit infliger, le 10 décembre,
neuf mois de prison et dix mille francs d’amende. Lors de ce
procès, les journaux de toute nuance, y compris les feuilles
officieuses, donnèrent le compte rendu accompagné de
citations : "On a calculé, disait plus tard
Béranger, qu’il y avait eu en moins de quinze jours,
plusieurs millions d’exemplaires des vers, qu’on avait
voulu frapper d’interdiction. C’était une bonne leçon
donnée à ceux qui s’obstinaient à entraver la liberté de
la Presse".
Béranger
subit sa prison, la première fois à Sainte-Pélagie, la
seconde à la Grande-Force. Le retentissement de son procès
ne fut pas moins grand que le succès de ses chansons, le
peuple souscrivit avec ardeur pour l’acquittement des frais
et de l’amende, le peuple faisait cause avec son
chansonnier.
La
révolution de 1830, qu’il avait pressentie depuis longtemps
et à laquelle il avait contribué plus qu’aucun autre
peut-être, ne surprit pas Béranger. Au lendemain des
journées de juillet, il refusa tout ce qui lui fut offert, il
se contenta d’être " le solliciteur universel en
faveur de tous les infortunés et de toutes les injustices
dont il était le confident ".
De
1820 à 1830, tout le parti républicain avait considéré
Béranger comme l’un de ses chefs et fondateur, bien que
celui-ci eût de tout temps déconseillé les manifestations
stériles et les échauffourées sanglantes auxquelles les
jeunes gens s’étaient trop souvent laissé entraîner.
Quand, en 1850, le maître sembla se rallier à l’Empire
restauré, la désillusion fut grande et le ressentiment des
républicains, comprimé jusque là éclata en 1857, après la
mort de l’illustre chansonnier.
LE
ROI D’YVETOT (extraits) |
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Il
était un roi d’Yvetot
Peu connu dans l’histoire,
Se levant tard, se couchant tôt,
Dormant fort bien sans gloire,
Et couronné par Jeanneton
D’un simple bonnet de coton,
Dit-on.
Oh ! oh ! oh ! oh ! ah !
ah ! ah ! ah !
Quel bon petit roi c’était là !
La, la
Il
faisait ses quatre repas
Dans son palais de chaume
Et sur un âne, pas à pas,
Parcourait son royaume,
Joyeux, simple et croyant le bien,
Pour toute garde il n’avait rien
Qu’un chien.
Oh ! oh ! oh ! oh ! ah ! ah !
ah ! ah !
Quel bon petit roi c’était là !
La, la
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Les
gueux, les gueux,
Sont des gens heureux ;
Ils s’aiment entre eux.
Vivent les gueux !
Des
gueux chantons la louange ;
Que de gueux hommes de bien !
Il faut qu’enfin l’esprit venge
L’honnête homme qui n’a rien.
Les
gueux, les gueux,
Sont des gens heureux...
Oui,
le bonheur est facile
Au sein de la pauvreté :
J’en atteste l’Evangile ;
J’en atteste ma gaîté.
Les
gueux, les gueux,
Sont des gens heureux...
Au
Parnasse la misère
Longtemps a régné dit-on :
Quel bien possédait Homère ?
Une besace, un bâton.
Les
gueux, les gueux,
Sont des gens heureux...
Vous
qu’afflige la détresse,
Croyez que plus d’un héros,
Dans le soulier qui le blesse,
Peut regretter ses sabots.
Les
gueux, les gueux,
Sont des gens heureux...
Ils s’aiment entre eux.
Vivent les gueux !
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Evelyne |
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